L’hiver demeure une saison imprévisible où se succèdent précipitations hivernales, gel au sol et opérations de déneigement. Afin d’assurer la sécurité de nos déplacements et d’y permettre la libre circulation des biens et services, le salage des routes est pratiqué sur tout le territoire couvert. Ainsi, dès qu’un évènement météorologique survient, le spectacle des déneigeuses et des épandeuses commence afin de garantir notre sécurité routière. Le sel, par son faible coût et sa facilité logistique, est l’arme contre l’englacement des routes.
Les sels de voirie réfèrent aux sels de chlorure où le plus couramment utilisé est le chlorure de sodium (NaCl)…c’est-à-dire notre bon vieux sel de table. Ce sel est utilisé pour faire fondre la glace idéalement à des températures entre 0°C et -10°C. Des abrasifs sont quant à eux appliqués à des températures inférieures à -15°C [1]. Mais la science derrière le déglaçage des routes est complexe, oscillant entre principes physiques, chimiques et surtout logistiques, le tout dans le but d’assurer une sécurité routière maximale.
Au Canada, 5 millions de tonnes de sel sont épandues chaque année, soit le poids de 33 000 baleines bleues ou 926 piscines olympiques [2]. Au Québec, c’est plus de 1,5 million de tonnes qui sont utilisées annuellement afin de répondre aux évènements hivernaux [3]. Ces opérations hivernales sont très dispendieuses pour la société canadienne avec un coût annuel moyen estimé à 12,7 milliards de dollars réparti entre les dommages aux infrastructures (56%), la maintenance supplémentaire des routes (24%), les dommages aux écosystèmes (8%), la corrosion des véhicules (3%), les coûts des opérations (6%) et les coûts du sel (3%). Cela représente un montant annuel de 340$ par Canadien! Ainsi, lorsqu’on cumule les coûts directs des opérations et indirects des dommages, la facture collective est particulièrement salée!
Quels sont les impacts du sel sur notre environnement et nos ressources en eau?
Suite aux opérations d’épandage, une partie du sel épandu rejoint inévitablement l’environnement et les cours d’eau et s’y accumule hiver après hiver. Ce sel a ainsi un impact sur la faune et la flore aquatiques mais aussi sur les eaux de surface (lacs, rivières, fleuves), les aquifères (eaux souterraines) et sur le sol. Il est ici important de mentionner que le sel ne peut pas être retiré par nos stations québécoises de production d’eau potable actuelles, sauf si celles-ci se prémunissent de méthodes coûteuses de dessalement. En 2019, la World Wildlife Fund Canada a développé une carte montrant les concentrations d’ions chlorure (sel) dans l’environnement en Ontario (Figure 1 – WWF). À titre indicatif, le Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) a défini qu’une concentration supérieure à 230 mg/L a des effets néfastes la vie aquatique contre les effets toxiques chroniques des ions chlorure [4]. Nous pouvons ainsi voir sur cette carte que bon nombre de localités ne semblent plus potentiellement protéger leur faune et leur flore aquatique.
Au Québec, des exemples concrets nous ont montré récemment l’importance grandissante de cette menace sur notre environnement. Premièrement, une augmentation de la salinité des sources d’approvisionnement en eau potable a été observée. En 2016, une étude réalisée sur 900 puits artésiens du bassin versant de la rivière Saint-Charles à Québec a établi que 56 % d’entre eux contenaient des ions chlorure découlant de l’utilisation de sel sur nos axes routiers [5]. Les sels de voirie sont également responsables de la dégradation de la qualité de l’eau du lac Clément, situé à la limite de l’arrondissement de Charlesbourg (Ville de Québec) et de la municipalité de Stoneham-et-Tewkesbury. Ce point d’eau présente des valeurs de conductivité et de concentrations en ions chlorure anormalement élevées, dépassant de manière générale le seuil de toxicité du MELCC [4]. Ces derniers exemples reflètent l’importance de prendre position sur cette problématique afin de limiter l’impact du sel sur notre environnement… mais quoi faire?
Quel geste citoyen peut-on poser?
L’utilisation du sel est bien enracinée dans nos pratiques de viabilité routière hivernale de par la facilité de son utilisation mais également son faible coût. Cependant, à court et moyen terme, nous pouvons limiter son utilisation!
Habitués aux conditions routières québécoises, nous sillonnons les routes avec habileté été comme hiver en adoptant les mêmes comportements routiers, peu importe la saison. Or, en gardant exactement les mêmes habitudes de conduite et les limites de vitesse en été qu’en hiver, nous obligeons les responsables de viabilité hivernale à maintenir un très haut niveau d’exigence afin de minimiser le nombre d’accidents. À titre individuel, il nous faut ainsi adapter nos comportements routiers en limitant notre vitesse, et ce, particulièrement lors d’évènements météorologiques afin de limiter l’utilisation de sel sur nos routes.
De plus, suggérer à nos institutions politiques d’avoir plus d’écoroutes ou routes blanches demeure une piste intéressante. Ces routes sont caractérisées par une réduction ou une absence d’application de sel sur les routes à des points critiques afin de limiter leur entrée dans l’environnement et de préserver notamment les prises d’eau potable. D’ailleurs, un projet pilote d’écoroute a été lancé dans le secteur du lac Saint-Charles afin de diminuer les quantités appliquées pour protéger les sources d’approvisionnement en eau potable de la Ville de Québec. Cependant, au Québec, le réseau total des écoroutes représente uniquement 130 km des voies de circulation [6] : c’est encore trop peu pour protéger nos ressources en eau et notre environnement. Une prise de conscience collective ainsi qu’une volonté politique seront donc nécessaires afin de répondre à cette problématique environnementale émergente.
Finalement, le secteur de la viabilité hivernale nécessite une amélioration au niveau technologique ou une meilleure prédiction des quantités nécessaires réelles à appliquer sur le terrain. Un épandage de précision permettrait de limiter l’utilisation non nécessaire de sel sur nos routes, et ce, dans un contexte de changements climatiques où certains évènements météorologiques extrêmes seront de plus en plus fréquents et intenses.
Article d’Anne Carabin, Patricia Gomez et Claudie Ratté-Fortin.
Vous souhaitez en savoir plus?
Problématique générale – Environnement Canada : https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/sante-environnement-milie…
Problématique du lac Clément – Agiro (anciennement Association pour la protection de l’environnement du lac Saint-Charles – APEL): https://agiro.org/publications/evaluation-de-la-contamination-du-lac-cle…
Références
- Juliette Mochizuki, Évaluation de la contamination du lac Clément, de son bassin versant et de la nappe phréatique par les sels de voirie – Charlesbourg, Québec, in Département de géographie. 2011, Université Laval.
- Gouvernement du Canada. Code de pratique : la gestion environnementale des sels de voirie. 2018 2018-10-30 2021-01-06]; Available from: https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/po….
- Ministère des Transports. Gestion environnementale des sels de voirie. 2021 2021-01-06]; Available from: https://www.transports.gouv.qc.ca/fr/gestion-environnementale-sels-voiri….
- Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Critères de qualité de l’eau de surface. 2020 2020-01-06]; Available from: http://www.environnement.gouv.qc.ca/eau/criteres_eau/details.asp?code=S0118.
- Isabelle Porter, Le sel de déglaçage contamine les eaux souterraines à Québec, in Le Devoir 2017.
- Magdaline Boutros, Vers un usage plus efficace des sels de déglaçage, in Le Devoir 2019.