Au pied du pont Jacques-Cartier, un édifice de pierre grise plus ancien que le pont lui-même semble défier le temps… Les plus perspicaces auront réussi à voir le blason des armoiries de Montréal, ainsi que sa date de construction -1887-, sur son flanc sud. Ce curieux édifice est une ancienne station de pompage, la station Craig, dont l’histoire vous est racontée à l’occasion de l’exposition « Les mystères de la Craig », au C.I.EAU jusqu’en mai.
Une station de pompage, ça sert à quoi?
Au XIXe siècle, le monde du génie civil subit une révolution avec l’apparition des premières machines à vapeur. Avant d’être remplacée par l’électricité, cette source d’énergie thermique (mais aussi cinétique) alimentait les pompes des tout premiers réseaux d’aqueducs dans les grandes villes du monde. Ces pompes servent à acheminer l’eau non-traitée d’un cours d’eau vers l’usine de production d’eau potable, alors que d’autres pompes servent à pressuriser le réseau d’aqueduc jusqu’à nos robinets. Les égouts, quant à eux, arrivent souvent à l’usine d’épuration à une profondeur non négligeable. Des stations de pompage servent à relever les effluents vers des bassins de traitement des eaux usées, qui sont situés en surface.
Le cas des stations Craig et Riverside est un peu spécial : elles ont été érigées afin d’éviter que le fleuve n’inonde la ville en refoulant par les égouts. Comme les usines d’épuration n’existaient pas à l’époque, les égouts de Montréal terminaient leur course par gravité dans le fleuve Saint-Laurent. Durant l’hiver, la formation d’embâcles sur le fleuve gênait l’écoulement normal de l’eau, qui prenait alors le chemin des égouts et causait des inondations annuelles importantes.
La station Craig – un fonctionnement sur trois niveaux
Pour régler le problème des inondations saisonnières, les stations Craig et Riverside furent construites légèrement en amont de leur émissaire respectif vers le fleuve afin de pomper les eaux usées de l’autre côté d’une écluse installée dans le collecteur d’égout – celle-ci protégeant le reste du réseau d’égout d’un refoulement causé par les embâcles saisonniers :
« Le concept général de l’usine Craig est le suivant : un coursier est construit dans l’égout collecteur. Une vanne est placée dans ce coursier et interrompt la continuité de l’égout. Arrêtée par cette vanne, l’eau passe dans un conduit qui se rend aux pompes d’où elle est élevée et rejetée dans le fleuve (1) »
Le rez-de-chaussée du bâtiment abritait le système de production de vapeur qui alimentait les moteurs des pompes :
« En 1955, l’usine compte : « (…) 3 chaudières d’un total de 650 cv à 160 lbs de pression (…) (2) »
Au sous-sol, on retrouve les équipements de pompage ainsi que toute la tuyauterie de vapeur nécessaire à leur fonctionnement :
«(…) Quatre (4) pompes centrifuges identifiées ‘’The Webber pump’’ & quatre moteurs à vapeur identifiés ‘’The Laurie & Bro, builders, Montreal, (…) d’une capacité totale maximum de 42 000 gallons par minute. (3) ’’.
C’est cependant au niveau de l’égout que l’on retrouve les composantes les plus importantes, la principale étant l’écluse et son mécanisme à contrepoids. En amont de celle-ci, on retrouve la chambre de dérivation, où les effluents sont déviés vers une conduite connectée aux pompes situées au sous-sol. En aval de l’écluse se trouve la conduite de refoulement, qui rejette le contenu provenant des pompes vers l’égout collecteur.
Pourquoi la Craig n’est plus en fonction aujourd’hui?
Au XXe siècle, de grands travaux sont entrepris afin de dompter les crues saisonnières. Entre 1954 et 1959, la voie maritime du Saint-Laurent est construite, le dragage du fleuve et l’ajout des barrages de Beauharnois et de Cornwall aide à contrôler le débit du fleuve tout au long de l’année. De plus, les brise-glace qui circulent à l’année entre Québec et Montréal depuis les années 1960 ont considérablement réduit les formations d’embâcles.
C’est cependant la modernisation du réseau d’égouts de la communauté urbaine de Montréal (CUM) dans les années 1980 qui rendra obsolète la station Craig. Avec la construction d’un réseau d’intercepteurs d’égouts et la mise en service de l’usine d’épuration des eaux usées en 1987, tous les émissaires d’égout qui se jetaient auparavant dans le fleuve sont désormais interceptés, leurs eaux étant par la suite acheminées jusqu’à Rivière-des-Prairies afin d’y être traitées. Maintenant que les égouts ne sont plus raccordés au fleuve et que le problème des inondations est résolu, la station est jugée excédentaire et est abandonnée peu de temps après.
Malgré son état d’abandon actuel, il s’agit de la plus ancienne structure de ce type subsistant toujours à travers le réseau d’aqueduc et d’égouts de la ville de Montréal.
Sources
(1) Étude des valeurs architecturales et patrimoniales – Usine de pompage Craig (Thiffault, Lafontaine 2005)
(2) Étude des valeurs architecturales et patrimoniales – Usine de pompage Craig (Thiffault, Lafontaine 2005)
(3) Étude des valeurs architecturales et patrimoniales – Usine de pompage Craig (Thiffault, Lafontaine 2005)
Texte préparé par: Pierre-Luc Rivest, Espace Craig / CHIC